Le docteur Jacques
Durant, du CHU de Nice, a mené l’enquête et confirmé l’existence de 51 cas de
contamination dans les Alpes-Maritimes en deux ans.
Une polémique sans fin.
La maladie de Lyme, due à une bactérie, appelée Borrelia, et transmise
par piqûre d’une certaine espèce de tiques, est un véritable cas d’école de
rupture entre le corps médical et les malades.
Au cœur de la polémique,
cette question: "Existe-t-il une forme chronique que les tests actuels
(recherche d’anticorps) ne parviennent pas à dépister?"
Qui en appelle une
autre: "Peut-on traiter des personnes sans être sûr qu’elles sont
atteintes de la maladie?" Pendant que les sociétés savantes pointent
un surdiagnostic et un surtraitement dénués de preuves scientifiques, des
malades crient leurs souffrances et dénoncent le manque d’écoute, voire le
rejet dont ils font l’objet.
Intrigué par cette
polémique, le Dr Jacques Durant, infectiologue au CHU de Nice, centre de
compétence pour la maladie de Lyme, a décidé de mener l’enquête.
Depuis deux ans, il
reçoit des patients adressés par leurs médecins pour une suspicion de maladie
de Lyme. Quelque 200 personnes au total, des femmes en majorité (60%), et âgées
en moyenne de 49 ans. Et d’emblée, il veut en finir avec le dogme selon lequel
il n’y aurait pas de Lyme dans le département des Alpes-Maritimes.
Considérés comme
"psy"
"Beaucoup de
médecins en sont encore convaincus, alors que le premier cas de maladie de Lyme
contracté dans le département - il s’agissait d’un employé du parc national du
Mercantour - a été publié en 2016", précise le Dr Durant.
Résultat: des années
d’errance médicale, à la recherche de réponses à leurs maux. "J’ai prêté
une oreille attentive, sans jugement, à ces malades parfois en grande
souffrance physique et psychologique, rejetés, considérés souvent comme “psy”
et j’ai réalisé la complexité clinique de la maladie", témoigne le
spécialiste.
S’affranchissant ainsi
de toute idée préconçue, l’infectiologue leur a d’abord prescrit des examens
d’imagerie et biologiques afin d’écarter tout autre diagnostic.
"Parmi les 200
patients, un certain nombre était en réalité atteint d’autres maladies:
rhumatismes inflammatoires, sclérose en plaques, SLA, voire apnées du sommeil
expliquant leurs symptômes. Ceux-là ont été pris en charge et ont bénéficié de
traitements adaptés à leur pathologie. Mais 96 personnes présentaient
effectivement le syndrome associant fatigue, douleurs et troubles cognitifs
(dit SPPT) et caractéristique d’une forme chronique de Lyme selon la Haute
Autorité de santé (HAS). Ils avaient été par ailleurs exposés dans des régions
à risque."
Selon les critères des
sociétés savantes, le Dr Durant n’aurait dû traiter par des antibiotiques que
14 personnes, soit celles qui avaient une sérologie positive.
"Mais j’ai
décidé de traiter aussi les 82 autres patients, en dépit de leur sérologie
négative ou douteuse. Et 51 d’entre eux se sont améliorés franchement. Soit 60%
au total", se
réjouit l’infectiologue.
Rappelons que la HAS
elle-même a recommandé le traitement par antibiotiques des patients présentant
un syndrome SPPT, même en cas de sérologie négative. En concluant qu’en cas
d’amélioration de symptômes, une maladie de Lyme était probable ou possible.
Mais fait extrêmement rare, les médecins n’ont pas accepté ces recommandations.
"Ce rapport a
aggravé les tensions, les experts évoquant des “symptômes très subjectifs”, très
fréquents : “Tout le monde a des maux de tête, est fatigué, a des douleurs,
des troubles de l’attention... on est en train de créer une maladie !”, ont-ils
déclaré."
L’étude du Dr Durant
montre que la pathologie est complexe et demande plus d’investigations. Il
reconnaît aussi que, parmi les patients qui lui ont été adressés, environ 10%
souffraient en réalité de troubles psychiques: hypocondrie, dépression, stress
post- traumatique...
Des profils qui
"font peur" au corps médical. Mais qui ne l’autorisent pas pour
autant à prendre le risque de laisser sur le bas-côté des malades qui réclament
à juste titre une assistance.
Par Nancy Cattan
Source :
Nice Matin, 24 novembre 2019,
https://www.nicematin.com/sante/la-maladie-de-lyme-fait-polemique-un-docteur-du-chu-de-nice-a-decide-de-mener-lenquete-433914