La babésiose,
connue notamment pour affecter la santé des chiens sous le nom de piroplasmose,
est une pathologie beaucoup plus rare chez l’homme.
Cette maladie
est provoquée par des parasites, voisins du vecteur du paludisme, et dénommés Babesia, notamment B. microti et B. divergens
(ce dernier étant plus fréquent en Europe). Quelques
autres espèces de Babesia ont
ponctuellement été rapportées comme étant pathogènes pour l’homme (B.
duncani, B. venatorum, B. equi). Des travaux sont en cours pour préciser
les contours de cette famille de pathogènes.
Il s’agit d’un parasite
protozoaire, intra-érythrocytaire, pouvant affecter plusieurs espèces. Les Babesia semblent presque toujours être
transmises par piqûre de tique. De nombreux mammifères sauvages peuvent servir
de réservoirs intermédiaires, notamment les souris. Récemment, il a été montré
que le réservoir intermédiaire principal était la musaraigne.
Les différentes formes de la maladie
L’infection, décrite
chez l’homme pour la première fois en 1957, cause, dans sa forme la mieux
décrite, une anémie hémolytique, accompagnée d’une forte fièvre (40 - 41°C), de
vomissements, myalgies, céphalées et fatigue. Le traitement, efficace, repose
alors sur l’association d’un antiparasitaire (atovaquone ou quinine) et d’un
antibiotique approprié (respectivement, azithromycine et clindamycine).
La forme aiguë de la maladie peut
parfois donner lieu à des complications respiratoires gravissimes. Ainsi, 11
des 22 patients admis avec une babésiose en soins intensifs au Lower Hudson
Valley Hospital, dans l'État de New York, entre janvier 2008 et août 2016, ont
évolué vers un syndrome de détresse respiratoire aiguë, mortel pour 3 d’entre
eux (1).
Classiquement, la très
grande majorité des infectiologues considère que la babésiose ne touche que des
patients présentant une faiblesse immunitaire consécutive à une splénectomie ou
immunodéprimés, et qu’hormis ces deux situations, la Babesia n’est pas un pathogène pour l’homme. Une autre idée bien
ancrée, est que le tableau clinique s’accompagne toujours d’une forte fièvre,
d’une anémie et que ce parasite est facile à détecter.
Le CDC (Center for Disease Control and Prevention)
d’Atlanta précise que, pour certains individus, en particulier ceux dont le
système immunitaire est affaibli, il peut s'agir d'une maladie grave et
potentiellement mortelle. Chez ces patients profondément immunodéprimés, le
traitement peut être prolongé de 6 semaines ou plus.
En réalité,
la grande majorité des personnes infectées par B. microti ne présentent aucun symptôme et ne sont jamais
diagnostiquées. Certaines personnes développent des symptômes pseudo-grippaux,
tels que fièvre, maux de tête et courbatures (2).
Le diagnostic de la
babésiose nécessite d’être conforté par frottis sanguins,
immuno-fluorescence, ELISA ou PCR. Malheureusement ces examens ne sont pas
toujours d’une sensibilité idéale, et donc pas toujours demandés. Leur qualité
reste encore l’apanage de laboratoires spécialisés, et l’on peut espérer que la
mise au point d’une amplification RT-PCR de gènes cibles en partant de
plusieurs centaines de copies d’ARN messagers, mis au point récemment par
l’école vétérinaire de Nantes va améliorer la détection du pathogène, qui est
clairement sous estimée actuellement.
Babesia comme co-infectant dans la borréliose de Lyme
Les Babesia sont des co-infectants fréquents des bactéries Borrelia dans la maladie de Lyme. Une
co-infection à Babesia va contribuer
alors à des arthralgies et des maux de tête. Une labilité émotionnelle peut
également être constatée.
Babesia comme co-infectant dans la maladie de Lyme reste aujourd’hui en France
toujours un sujet de controverse médicale, et a donné lieu lors de travaux
récents à la Haute Autorité de Santé à d’âpres débats. Certains infectiologues
réputés affirment avec force qu’elle ne toucherait que les patients
splénectomisés ou souffrant de SIDA…
Faisons un
saut du côté du Wisconsin, État du centre-nord des USA, où l’émergence de la
babésiose est suivie depuis sa première détection en 1985. Une étude publiée en
2015 montre que l’incidence approche maintenant les 1/100 000 habitants, avec
un diagnostic toujours complexe, conduisant à des retards dans la prise en
charge des malades (3). Dans le Massachusetts,
autre État particulièrement atteint, en 2016 le nombre de cas de babésioses
atteignait 7,8 pour 100 000 habitants (4).
Un rapport du
CDC de mai 2019, couvrant les années 2011-2015, indique que le nombre d’États
des USA touchés par la babésiose au cours de cette période est passé de 22 à 33 (5).
De plus,
certains pays, jusqu’alors épargnés par la maladie, comme la Corée du Sud,
viennent de décrire leurs premiers cas (6).
Quel est le pourcentage
de malades co-infectés par Babesia
dans la maladie de Lyme ? En 2013, une étude réalisée par S. Curcio et al. (Department of Biochemical Sciences, Long Island University), chez
des patients séropositifs de Long Island (New York) montre que 21,4% des
patients sont co-infectés par Babesia.
Cinq ans plus tard, une étude similaire réalisée par S. Primus et al., (Department of Microbiology, Biochemistry and molecular Genetics,
Rutgers New Jersey Medical School) dans l’état adjacent du New-Jersey
montre, que ce pourcentage de co-infections atteint désormais 38,5% des
patients contaminés par Borrelia.
Une synthèse
publiée le 31 juillet 2019, par les Dr. Parveen et Bhanot, de la New Jersey Medical School, revient sur
les co-infections Babesia + Borrelia, précisant que suivant le
diagnostic initial de maladie de Lyme, ou bien de babésiose, 20% ou 25% des
patients sont respectivement co-infectés avec l’autre pathogène. Cette analyse
à double entrée donne donc une fourchette assez précise de la co-transmission
de ces deux agents chez l’homme (7).
La situation semble évoluer de façon similaire, avec un léger décalage, en Europe. Ainsi, en Suède en 2002, Hunfeld et ses collaborateurs rapportaient que 11,5% des patients souffrant d’une forme avérée de maladie Lyme étaient co-infectés par Babesia. Début 2019, une nouvelle étude suédoise menée par le Dr. J. Svensson montre que ce pourcentage atteint aujourd’hui 16,3%.
La situation semble évoluer de façon similaire, avec un léger décalage, en Europe. Ainsi, en Suède en 2002, Hunfeld et ses collaborateurs rapportaient que 11,5% des patients souffrant d’une forme avérée de maladie Lyme étaient co-infectés par Babesia. Début 2019, une nouvelle étude suédoise menée par le Dr. J. Svensson montre que ce pourcentage atteint aujourd’hui 16,3%.
Les infections
simultanées par Babesia microti et Borrelia burgdorferi sont les co-infections
les plus courantes transmises par les tiques aux Etats-Unis.
Babésiose et immunosuppression
Comme nous l’avons vu,
le statut immunitaire joue un rôle important dans la résolution de la
babésiose, qui sera plus grave, voire mortelle, chez les patients âgés, chez
ceux ayant subi une splénectomie, ou atteint de SIDA.
Dans des
modèles expérimentaux de souris, une réponse pro-inflammatoire aiguë à B. burgdorferi due aux cellules
CD4+Th1 et CD4+Th17 réduit probablement la parasitémie de B. microti de manière significative, mais uniquement chez les
jeunes souris. Au contraire, la présence de B.
microti réduirait l'immunité humorale chez les animaux plus âgés et
intensifierait la colonisation tissulaire par les spirochètes chez ces souris,
augmentant ainsi l'arthrite inflammatoire (7, 8a, 8b).
Babésiose et transfusion sanguine
Babesia microti, peut également infecter de manière asymptomatique des personnes
immunocompétentes pendant une période allant jusqu'à deux ans (9).
Les donneurs de sang atteints
d'une infection chronique peuvent alors transmettre l'agent pathogène à une
autre personne par transfusion sanguine. La babésiose transmise par transfusion
entraîne des complications graves et le décès dans environ 20% des cas (9).
Des observations importantes
viennent d’être faites, pouvant possiblement améliorer les soins de patients
infectés sévèrement par Babesia divergens,
espèce prédominante en Europe. Depuis des années, les cliniciens publiaient des études de
cas étonnants décrivant comment certaines transfusions d’échange de globules
rouges, mais pas toutes, avaient sauvé la vie de patients gravement atteints de
babésiose. Depuis, il a été montré que le système de groupe sanguin dénommé MNS
permet de contrôler l’infection des hématies par Babesia divergens. Les globules rouges négatifs pour
les antigènes M (un variant de la glycophorine A) ou S (un variant de la
glycophorine B), ou pour les deux, résistent à l'invasion par B.divergens. Pour cette raison, les
auteurs recommandent d’évaluer au plus vite les poches de sang dites “T-REX“,
présentant ces caractéristiques, chez des patients gravement atteints, ou chez
des patients contaminés lors de transfusions sanguines (10).
Depuis mai 2019, un rapport de la FDA recommande
des tests globaux sur des échantillons de donneurs de sangs prélevés dans les
régions du pays où la babésiose est transmise par les tiques. La FDA indique
que sur les 200 cas détectés de babésiose résultant de transfusions sanguines,
95% provenaient des 14 États du nord-est des USA
(5, 11).
Babésiose et transmission materno-fœtale
Si la
question de la transmission materno-fœtale de Babesia a été posée, celle-ci semble être vraiment très
exceptionnelle. Les cas de huit femmes enceintes ayant développé une babésiose
ont été rapportés dans la littérature. Chez une seule d’entre elles, une
transmission materno-fœtale a été détectée, et pour l’ensemble des patientes,
la maladie a été résolue par un traitement conventionnel anti-Babesia (12).
Les études et les données sur la babésiose sont beaucoup plus nombreuses aux USA qu’en Europe. Ceci est certainement lié au fait que l’épidémie de babésiose évolue géographiquement de pair avec celle de borréliose de Lyme, et que fort probablement aussi, les deux pathogènes entretiennent des liens symbiotiques qui demandent à être étayés plus avant (immunosuppression, gestion du métabolisme du fer, etc.).
Cependant les données du
terrain les plus récentes de la maladie de Lyme, au moins en France, donnent
des valeurs de nombre de cas proportionnellement identiques à celles observées
au USA, et incitent très clairement à une vigilance accrue, et un effort dans
la recherche, à l’encontre de Babesia.