Selon un article récent du Pr Caumes sur la borréliose de Lyme (Haddad 2018), 90% des personnes qui pensent avoir la maladie de Lyme n'en souffrent pas. Cet article a eu un très grand écho médiatique en France. Ses principales conclusions s'appuient sur un déni des données scientifiques.
Les auteurs ont pris en charge
300 patients sur 4 ans à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Tous ces
patients pensaient être atteints d’une forme tardive de la maladie de Lyme,
d'après leurs propres conclusions ou celles de leur médecin traitant. Cette
étude affirme qu'en réalité seuls moins de 10% des patients souffriraient
réellement d'une borréliose de Lyme.
Le Pr Caumes affirme ainsi
démontrer que près de 90% de ces patients auraient en réalité une autre
pathologie, souvent liée à des problèmes psychologiques ou psychiatriques, et
que ces diagnostics erronés conduiraient aussi à une surconsommation
d'antibiotiques. Cependant, comme nous allons le voir, l'article du Pr Caumes
tourne le dos à la plus élémentaire rigueur scientifique.
Dans cette étude, les critères
retenus pour conclure qu'un patient souffre réellement d'une borréliose de Lyme
sont au nombre de quatre :
- savoir si le malade a été exposé ou mordu par une tique.
- présenter des signes cliniques typiques.
- développer une sérologie positive à Borrelia, détectée par ELISA et Western blot.
- disparition de tous les signes et symptômes dans les 3 mois suivant le traitement antibiotique.
Critère n°1. Les publications scientifiques indiquent que la piqûre de tique est indolore, l'érythème migrant souvent absent, et que la majorité des patients n'a pas le souvenir d'avoir été piqué. Sur ce seul critère sans justification scientifique, le Pr Caumes écarte ainsi le diagnostic de borréliose pour une large fraction de ses patients.
Critère n°2. L'étude indique très explicitement : Des
symptômes prolongés inexplicables comme la fatigue (…) des troubles de
concentration (…) des douleurs articulaires n'ont pas été considérés comme
caractéristique de la borréliose de Lyme. Cette phrase est impressionnante
par son négationnisme scientifique. Il est parfaitement exact que chacun de ces
symptômes, pris isolément, peut être présent dans d'autres pathologies. En
revanche, il a été montré par un service américain d'excellente réputation (Rebman 2017), que la triade fatigue,
troubles de la concentration et douleurs articulaires, évoque avec une très
forte probabilité une maladie de Lyme tardive. Cette conclusion est reprise
dans le récent rapport du Département de la santé des USA, Tick-Borne
Disease Working Group 2018 to Congress.
Critère n°3. Il est établi qu'un traitement antibiotique, même
s'il ne parvient pas à éliminer totalement Borrelia, aboutit en revanche
à une baisse du titre d'anticorps anti-Borrelia ou à sa négativation,
cette sérologie étant instable. Le nombre de « non-Lymes » peut ainsi
augmenter, selon les critères du Pr Caumes.
Critère n°4. De nombreux articles scientifiques montrent que des
formes dormantes, ou persistantes, de la bactérie Borrelia sont peu
sensibles aux antibiotiques utilisés en première intention. Si les traitements
actuels (notamment doxyxycline ou ceftriaxone) permettent d'obtenir des
améliorations notoires, les guérisons complètes sont plus rares pour les formes
complexes de la maladie, les patients ne retrouvant généralement pas totalement leur qualité de vie antérieure (Berende 2016, Fig. 2). Aucune publication
scientifique ne permet aujourd’hui d’étayer le critère n°4 du Pr Caumes. À
savoir, que lors d’une forme tardive véritable de maladie de Lyme, il y aurait
une disparition des signes et symptômes dans les 3 mois suivant un traitement
antibiotique.
Les scientifiques honnêtes
reconnaissent aujourd'hui que la maladie de Lyme chronique est difficile à
diagnostiquer, mais également à soigner. Aussi est-il urgent de faire des
recherches pour disposer de nouveaux tests diagnostics et identifier des
bactéricides plus efficaces.
Après un diagnostic
différentiel poussé (exclusion d’autres maladies possibles), devant un patient
qui présente une fatigue sévère, des douleurs articulaires intenses et des
troubles invalidants de la cognition, un médecin honnête dira : je n'ai pas de
certitude, mais il y a une forte probabilité que vous souffriez de la maladie
de Lyme. Le Pr Caumes, face à une situation identique affirme qu'il ne s'agit
pas de la maladie de Lyme, et que dans 30% des cas cela relève de la
psychiatrie.
Par ailleurs, une étude
publiée par les éditions Nature, établit que 85% des personnes infectées
par Borrelia souffrent de co-infections impliquant d'autres pathogènes (bactéries, parasites, virus) injectés lors de la piqûre, par la tique (Garg 2018). Le tableau clinique sera donc
le résultat de l’ensemble des co-infections. Borrelia n'est alors pas le
seul microbe à combattre. Ces données épidémiologiques sont totalement ignorées
dans l'article de Haddad (2018).
Parmi les 300 patients de la
Pitié-Salpêtrière qui pensaient souffrir de Lyme, il est fort probable que
certains d'entre eux avaient une autre pathologie. Mais nous constatons que
l'affirmation du Pr Caumes, selon laquelle 90% d'entre eux n'en souffraient
pas, repose sur des critères fantaisistes et non scientifiques.
Cet article aura deux
conséquences graves. La première est d’accroître le phénomène d'errance
thérapeutique pour nombre de personnes souffrant d'une borréliose de Lyme
tardive, disséminée. C'est déjà trop souvent le cas. Ces patients ne verront
leur pathologie correctement prise en charge qu'après des mois ou des années
d’une lente et insidieuse dégradation physique. Période durant laquelle ils
entendront ce désastreux diagnostic expliquant que leurs souffrances relèvent
de la psychiatrie.
La deuxième conséquence est
que le Pr Caumes trompe le public et surtout ses nombreux collègues, souvent
médecins généralistes, qui connaissant peu cette maladie, vont facilement se
référer à cette singulière position de ce grand spécialiste des maladies
infectieuses. Ils ignorent que ce spécialiste utilise des critères personnels,
non scientifiques, pour écarter le diagnostic de maladie de Lyme et proposer à
la place des diagnostics aux contours souvent flous, affirmant ainsi qu’environ
30% de ces faux Lyme souffriraient "d'association de pathologies, ou
d'affections variées, ou d'affections indéterminées". On s'interroge
alors sur la nature des traitements prescrits suite à de tels diagnostics.
L'article du Pr Caumes
n'aidera ni les patients, ni les médecins, et encore moins à la compréhension
physiopathologique de la maladie.
Alain Trautmann, chercheur CNRS émérite à l'Institut Cochin, membre du
Conseil Scientifique de la FFMVT (Fédération Française Contre les Maladies
Vectorielles à Tiques).
Raouf Ghozzi , médecin interniste à l’Hôpital de Lannemezan,
président de la FFMVT.
Hugues Gascan, immunologiste, directeur de recherche au CNRS et
ancien directeur d’Unité Inserm, vice-président du Conseil Scientifique de la
FFMVT.
Source : Le blog Mediapart de C. Trautmann, 1er juin 2019, https://blogs.mediapart.fr/trautmannclaudewanadoofr/blog/010619/diagnostic-de-lyme-les-certitudes-anti-scientifiques-du-professeur-caumes
Source : Le blog Mediapart de C. Trautmann, 1er juin 2019, https://blogs.mediapart.fr/trautmannclaudewanadoofr/blog/010619/diagnostic-de-lyme-les-certitudes-anti-scientifiques-du-professeur-caumes